Insomnie
L’insomnie, que beaucoup considèrent comme un enjeu majeur de santé publique, concerne pas loin de 20% des Français dont près de la moitié avec une forme sévère. Les pays développés et les pays en voie de développement sont concernés. Intéressant cependant de constater qu’aucune des trois tribus vivant loin de toute technologie, dans lesquelles une étude a été menée, n’avait de mot pour nommer l’insomnie. L’insomnie n’y existe pas et le sommeil y est encore un phénomène naturel.
Insomnie, de quoi parle-t-on ?
Les besoins de sommeil sont individuels, fluctuent au cours d’une vie et correspondent à la quantité de sommeil minimale nécessaire pour se sentir bien le lendemain. Le rythme du sommeil aussi : chronotype « du soir », « du matin » ou « intermédiaire entre ces deux extrêmes » en raison de notre horloge interne personnelle qui a une base génétique.
L’insomnie correspond à une insuffisance de sommeil en quantité ou qualité, alors que les conditions environnementales ne sont pas défavorables au sommeil. En pratique, elle se caractérise par des difficultés d’endormissement et/ou des éveils nocturnes et/ou un réveil trop précoce le matin, avec la sensation de ne pas avoir récupéré suffisamment et altérant la qualité de la journée qui suit. Au quotidien, elle se traduit par une irritabilité, une perturbation de l’humeur, des difficultés de concentration et de mémorisation, mais aussi de la fatigue ou une somnolence diurne aux conséquences négatives (incapacité à réaliser ses tâches quotidiennes, risque d’accident, absence au travail…).
Les insomnies ponctuelles ou transitoires sont fréquentes et finissent par être résolues avec la disparition du facteur déclenchant (décalage horaire, erreurs d’hygiène de vie, contrariété, stress lié à un changement, naissance d’un enfant, évènement difficile…). Leurs conséquences sur la santé sont donc souvent peu importantes. En revanche, lorsque les insomnies surviennent plus de trois fois par semaine depuis au moins trois mois, on parle d’insomnie chronique.
La prévalence de l’insomnie augmente avec l’avancée en âge et elle touche plus les femmes que les hommes, l’écart s’amoindrissant avec l’âge mais restant conséquent. Être sans emploi et vivre seul constituent des facteurs de risque.
Au-delà d’une dégradation de la qualité de vie, l’insomnie chronique aggraverait les symptômes de maladies associées (douleurs chroniques, hypertension, diabète, anxiété, dépression…), augmente le risque d’infections, respiratoires notamment, et augmente le taux de mortalité par cause cardiaque.
Causes de l’insomnie
Une susceptibilité individuelle à l’origine méconnue prédisposerait aux troubles du sommeil et de nombreuses causes peuvent être à l’origine de l’insomnie chronique. On distingue classiquement :
- Les insomnies dites secondaires, qui peuvent être liées à des maladies psychiatriques (troubles anxieux, dépression…) , à des troubles organiques exclusivement liés au sommeil (le syndrome des jambes sans repos, les mouvements périodiques nocturnes souvent associés au syndrome précédent et les apnées du sommeil) à des maladies neurologiques telles que la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson , à des cancers, à la gêne liée à certaines maladies chroniques (asthme, insuffisance cardiaque, BPCO, douleurs chroniques…), à un reflux gastro-œsophagien, à l’hyperthyroïdie, à la consommation de substances (alcool, tabac, boissons caféinées, thé…) ou de drogues favorisant la fragmentation du sommeil ou encore au mode de vie (exposition aux écrans, repas trop copieux, pratique d’une activité stimulante le soir, irrégularité des horaires de sommeil…) ou à l’environnement (lumière, bruit, température trop élevée ou basse, appareils électroniques…).
↪ Les insomnies liées au stress (notamment le stress post-traumatique et celui lié à un mode de vie « pressurisant »), à des troubles anxieux et/ou dépressifs sont les plus fréquentes et représentent plus de la moitié des insomnies. Les personnes souffrant d’anxiété ou de dépression auraient ainsi 7 à 10 fois plus de risque de souffrir d’insomnie chronique que les autres. Dans ces cas-là, l’insomnie accentue la détresse psychologique, entraînant un véritable cercle vicieux dont on a du mal à sortir. Chez l’anxieux, il s’agit le plus souvent de difficultés d’endormissement, la personne se plaint d’une « incapacité à arrêter la machine à penser », de préoccupations voire de ruminations qui surviennent au moment du coucher et d’une tension dans le corps. La dépression se traduit principalement par des éveils précoces en milieu et fin de nuit.
- L’insomnie dite primaire, car on ne trouve pas, ou plus, de cause pouvant l’expliquer. Elle apparaît généralement après une période d’insomnie dont la cause est connue (période de stress, dépression, etc.) mais, bien que la cause ait plus tard disparu, l’insomnie persiste. Ainsi, il n’est pas rare qu’une insomnie secondaire, due par exemple à une dépression, se maintienne au-delà de la guérison : l’insomnie secondaire est alors devenue une maladie en soi qui évolue pour son propre compte, comme si le cerveau avait appris à mal dormir.
↪ On parle d’insomnie psychophysiologique. Elle fait intervenir avec plus ou moins d’importance des facteurs liés au stress ou à un mécanisme de conditionnement qui s’auto-entretient principalement par la peur de ne pas dormir et la recherche du sommeil à tout prix. Le fonctionnement cérébral a été modifié par le mauvais souvenir d’insomnies et c’est alors la peur de ne pas pouvoir dormir qui fait que l’on ne dort pas. Elle peut correspondre à des troubles installés depuis l’enfance ou à des troubles de la perception du sommeil.
Concernant le lien avec l’âge évoqué plus haut, c’est l’architecture du sommeil et sa qualité qui se modifient avec l’avancée en âge. Le sommeil léger augmente au détriment du sommeil profond, avec un risque accru de réveils. Il est actuellement admis que l’âge n’est pas en soi une cause d’insomnie mais représente plutôt un facteur favorisant, en raison des problèmes de santé associés à l’avancée en âge.
Concernant les femmes, le risque accru d’insomnie s’explique par la fluctuation hormonale (en œstrogènes et progestérone) qui a une influence sur la capacité à dormir ou à rester éveillée et notamment dans certaines périodes spécifiques comme la grossesse ou la ménopause, où les hormones jouent aussi un rôle important. De plus, elles sont jusqu’à deux fois plus touchées par les troubles anxieux que les hommes.
Physiopathologie de l’insomnie
Une partie de la physiopathologie de l’insomnie, du stress et de l’anxiété a été décryptée grâce à des données recueillies chez différents animaux et à l’imagerie cérébrale chez l’humain. L’insomnie liée au stress, à l’anxiété ou à la dépression serait liée à un problème de régulation entre les mécanismes de veille et de sommeil. Les sujets souffrant d’insomnie présenteraient un « hyper-éveil », caractérisé par une activité accrue du système nerveux central et de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, en charge de la réponse au stress.
Le stress active en effet cet axe hypothalamus-hypophyse-glandes surrénales mais aussi le système nerveux sympathique, qui intervient dans les situations d’alerte. Cette activation s’accompagne de la libération d’hormones qui créent un état d’hypervigilance qui nuit au sommeil.
Concernant l’anxiété, plusieurs régions cérébrales jouent un rôle évident : le cortex insulaire ou insula et l’amygdale, une structure cérébrale qui conserve des traces mnésiques d’une peur forte, sont suractivées chez les patients. Il en est de même pour d’autres régions selon les sous-types d’anxiété.
Les mécanismes qui sous-tendent l’éveil et l’anxiété sont de même nature, ce qui explique pourquoi celle-ci est éveillante. Cet hyper-éveil empêcherait le patient de basculer vers le sommeil. Lorsque celui-ci survient néanmoins, le sommeil lent reste essentiellement au stade léger, favorisant les éveils nocturnes, ce qui explique la fatigue diurne ressentie par les patients.
Un mode de vie trop pressurisé peut être en cause. Avec certains modes de vie actuels, l’équilibre entre le « système de sommeil » et le « système d’éveil » est rompu car le système de l’éveil est hyperstimulé : on a tellement de choses à faire, professionnellement mais aussi au niveau des loisirs, que le système du sommeil n’arrive pas à compenser cet état d’hyper-éveil.
Au niveau moléculaire, certains neurotransmetteurs, messagers chimiques permettant la communication entre les neurones, sont impliqués dans l’anxiété : le GABA, cible des médicaments anxiolytiques et des somnifères, la sérotonine, cible des antidépresseurs, les endocannabinoïdes, dont la synthèse peut être augmentée par une supplémentation en oméga 3. Concernant l’insomnie, quelques résultats ont permis d’incriminer le GABA, la sérotonine et le cortisol mais aucune de ces molécules n’en semble spécifiquement responsable. Les orexines, des neurotransmetteurs localisés au niveau de l’hypothalamus qui favorisent l’éveil, sont la cible de nouveaux somnifères prometteurs visant à diminuer l’éveil nocturne ou précoce.
L’insomnie est très probablement multiforme et il faudrait apprendre à en discriminer les différents types pour les étudier individuellement.
Comment traiter l’insomnie ?
En cas d’insomnie, avant d’envisager une prise en charge médicale, un travail sur l’hygiène de vie doit être le premier réflexe afin de corriger toutes les mauvaises habitudes et d’adopter un comportement adapté pour favoriser l’endormissement, notamment en mettant en place un « rituel » constant et régulier autour du coucher.
Sur ce site, vous pouvez trouver 10 recommandations au niveau de l’hygiène de vie pour réduire les troubles du sommeil et augmenter la qualité des nuits. Quand cela est possible, un changement d’environnement ou de travail, quand la pression au travail est trop néfaste, peut être aussi nécessaire. Toutes les approches douces que la personne perçoit comme efficaces sur sa capacité à pouvoir dormir sont aussi à privilégier : relaxation, phytothérapie (passiflore, valériane, mélisse…), aromathérapie (huiles essentielles de lavande vraie, de petit grain bigarade, de camomille…), sophrologie, yoga, cohérence cardiaque, méditation, hypnose, ostéopathie, massage, méthode Feldenkrais…
Les couvertures lestées, sauf contre-indications, peuvent également être efficaces : la pression que la couverture applique sur le corps aurait un effet calmant et favorisant le sommeil en augmentant l’activation du système nerveux parasympathique (ralentissement général des fonctions, relaxation) et réduisant celle du système sympathique (préparation de l’organisme à l’action face à une alerte).
Le traitement de l’insomnie chronique nécessite cependant une prise en charge spécifique. Il est nécessaire d’en parler à son médecin qui orientera si besoin vers un spécialiste. C’est l’entretien avec le patient et parfois son conjoint, ainsi que d’autres examens, si nécessaire (notamment la polysomnographie), qui peuvent aider à identifier la cause de l’insomnie. Si une autre affection médicale provoque l’insomnie, la cause sous-jacente doit être traitée.
Seulement lorsque les troubles du sommeil dépendent d’une dérégulation de l’horloge interne, notamment chez les personnes âgées, la mélatonine peut être utilisée.
Les somnifères, pris d’une manière adaptée et sur une courte durée ou en discontinu, peuvent constituer une aide transitoire mais pas une solution durable. Ce sont des médicaments qui freinent l’éveil et ralentissent l’activité cérébrale, avec tous les risques d’effets secondaires et d’accoutumance que cela comporte. D’une part, pour le même effet, il faudra toujours augmenter les doses et d’autre part, aucun ne produit le sommeil physiologique. Ils ne peuvent donc constituer le traitement de fond de l’insomnie, sans approche comportementale par ailleurs.
Dans la plupart des insomnies chroniques, les thérapies comportementales et cognitives (TCC) sont les plus efficaces. Ces techniques permettent de sortir du cercle vicieux dans lequel la personne s’est enfermée et à reprendre confiance dans sa capacité à dormir. Outre le réapprentissage d’une bonne hygiène du sommeil, les TCC permettent de modifier ses comportements de jour comme de nuit mais également ses pensées sur le sommeil. Elles peuvent être suivies auprès d’un professionnel de santé ou grâce au programme en ligne Thérasomnia.
Dans le cas où l’insomnie est liée à des troubles de stress post-traumatique, l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) a montré son efficacité. Ce processus favoriserait la transformation des réseaux de neurones qui sous-tendent le souvenir traumatique et en atténuerait la portée en permettant au patient de mieux intégrer l’information selon laquelle il est désormais en sécurité.
Le succès des psychothérapies pourrait s’expliquer par la réduction de l’intensité de la trace mnésique dans l’amygdale ou le renforcement d’autres voies nerveuses qui s’interposeraient avec les circuits de l’amygdale, pour réduire peur et anxiété.
Le neurofeedback constitue également une piste de recherche clinique. Cette approche utilise l’électroencéphalographie (EEG) comme un moyen pour le patient de suivre son activité cérébrale et d’apprendre progressivement à induire des ondes favorables à l’endormissement. La stimulation magnétique transcrânienne (TMS) induisant des modifications transitoires de l’activité électrique qui pourraient moduler l’éveil et le sommeil en agissant sur l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, pourrait aussi constituer une approche complémentaire pour les insomnies chroniques sévères.
En quoi la Pédagogie Neuro-Visuelle est aussi une méthode très utile ?
À l’instar de l’EMDR mais d’une manière différente, la PNV utilise la relation étroite œil-cerveau, maintenant bien connue des neurosciences, pour modifier et agir sur le fonctionnement du système nerveux.
Comme le montre le schéma ci-dessous, les yeux sont directement reliés à différents centres nerveux situés à la base du cerveau (certains d’entre eux ont déjà été évoqués dans la partie physiopathologie de l’insomnie de cet article), notamment des centres nerveux impliqués dans l’insomnie / le stress / l’anxiété :
- L’hypothalamus, qui avec d’autres, synchronise le rythme circadien (ou horloge interne) de l’organisme qui agit lui-même comme un chef d’orchestre entre état de veille et de sommeil. De plus, il commande à un niveau supérieur le système nerveux sympathique qui intervient dans les situations d’alerte, pouvant créer l’état d’hypervigilance qui nuit au sommeil. Il est également, par l’intermédiaire d’une glande appelée hypophyse, responsable de la régulation hormonale de l’organisme.
- L’amygdale, impliquée comme nous l’avons vu dans la peur et l’anxiété et faisant plus largement partie du système limbique, qui joue un rôle très important dans le comportement et dans diverses émotions. Elle est richement connectée notamment avec l’insula déjà évoquée.
- La formation réticulée qui est, entre autres, l’un des principaux centres régulateurs de la vigilance, depuis l’éveil attentif jusqu’au sommeil profond.
- Le noyau accumbens qui pourrait provoquer sommeil et éveil.
Ces centres nerveux sont eux-mêmes en lien avec la partie « corticale » supérieure ou « cerveau ».
Ainsi, pour Georges Quertant qui mit au point dans les années 30 la méthode appelée « Culture Psycho-Sensorielle » dont la PNV découle, l’étude de la fonction visuelle permet la détection des dysfonctionnements des centres régulateurs de la base du cerveau. Le rééquilibrage de la fonction visuelle permet ensuite la diminution ou la suppression de ces dysfonctionnements et des problèmatiques, telle que l’insomnie, qui en découlent.
La PNV repose donc sur le lien existant entre le dérèglement des centres nerveux et celui de la motricité visuelle. Elle permet, par un entrainement visuel sur un appareil spécifique, de réguler les dysfonctionnements nerveux pour retrouver l’équilibre.
L’appareil utilisé permet de présenter des images sous un mode de vision particulier et la perception visuelle de ces images-tests consiste en un fonctionnement en boucle des informations allant de l’œil au cerveau et des informations allant du cerveau à l’œil. Si tout l’arc réflexe (œil – centres régulateurs nerveux – cortex) qui préside à l’élaboration de l’image-test est normal, l’individu est capable de voir un objet tel qu’il est, dans sa réalité objective. En revanche, si l’image n’est pas perçue correctement, c’est que les centres nerveux et le cerveau n’ont pas réagi de manière appropriée et ont positionné les yeux de la mauvaise façon. La PNV consiste donc en une auto-régulation des centres nerveux par l’activation de l’auto-régulation des arcs-réflexes face à des images-tests spécifiques.
Par un entraînement visuel régulier (séances de 30 minutes 1 à 2 fois/semaine), sous forme de micro-gymnastique visuelle sur l’appareil, ces boucles, ou arcs-réflexes, sont constamment revisitées par la plasticité cérébrale des différentes connexions neuronales liées au système visuel de la personne, c’est-à-dire la capacité du cerveau à restructurer ses réseaux de neurones.
Les mouvements oculaires sont très nombreux, variés, et d’une grande précision et permettent donc une régulation tout en finesse des centres nerveux, de manière à ce que ceux-ci ne soient plus « hyper-réactifs » ou « hypo-réactifs » selon la tendance de dérèglement propre à la personne.
Espérons que ces prochaines années, les techniques d’imagerie cérébrale récentes nous permettrons d’approfondir et de préciser notre compréhension.
Rédaction de l’article : Camille Réquillart